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Fusion entre WWE et UFC: la fin d’une ère

Fusion entre WWE et UFC: la fin d’une ère

Patric Laprade

Publié 14 septembre
Mis à jour 14 septembre

C’est maintenant officiel. La fusion, annoncée le lendemain de WrestleMania, entre Endeavor, propriétaire de l’Ultimate Fighting Championship, et la World Wrestling Entertainement, est complétée. 

La nouvelle compagnie s’appelle TKO Group Holdings et son action est représentée par les lettres TKO. 

Il y a deux constats à faire à la suite de cette transaction. Le premier est que les deux plus grandes organisations de sports de combat au monde (la lutte est un sport de combat scripté) sont dorénavant réunies sous une même ombrelle. 

Le second, et peut-être le plus important d’un point de vue historique, est que pour la toute première fois depuis 1952, la WWE n’est plus contrôlée par un McMahon. 

En effet, avec cette fusion, Endeavor a 51% des parts de la nouvelle compagnie, alors que la WWE en possède 49%. 

De ces 49%, Vince McMahon détient 16,4% de la nouvelle compagnie, de même que 16,4% des actions avec droit de vote. Les autres actionnaires de la WWE se séparent les 32,6% restantes. Avant la vente, McMahon détenait à lui seul 37,6% de la compagnie, mais surtout 83% des actions avec droit de vote. 

C’est donc la fin d’une époque pour celle qui est considérée comme la leader dans sa discipline, alors que pour la première fois, un McMahon devra rendre des comptes à d’autres personnes que ses actionnaires. 

Et pour retrouver le dernier actionnaire majoritaire à ne pas s’appeler McMahon, il faut remonter à 1931. 

Le tout débute à Washington

Un ancien lutteur et champion des poids moyens du nom de Joe Turner débute en 1931 à promouvoir des spectacles de lutte à Washington, dans le District de Columbia, là où il est très connu et où il jouit d’une belle popularité. 

Après son décès en 1947, la promotion est léguée à son épouse Florence et à un employé de longue date, Gabe Menendez. 

Influencé par son père Jess McMahon, un promoteur de boxe et de lutte de New York, Vincent James McMahon, directeur général du Turner Arena à Washington depuis 1948, achète en décembre 1952 les droits de présenter de la lutte à Washington pour la somme de 60 000$ américains (environ 700 000$ en 2023). Il s’associe à trois partenaires silencieux et le 7 janvier 1953, il produit son premier spectacle au Turner Arena. 

New York, New York

Puis, en juin 1956, son émission commence à être télédiffusée à New York. C’est le début de la relation entre la WWE et la ville de New York, si bien qu’encore aujourd’hui certaines personnes utilisent le surnom «New York» lorsqu’ils font référence à la WWE. 

«Lorsqu’il est parti pour New York», voulant dire que le lutteur est parti travailler pour la WWE, est une expression que j’ai entendue mille fois. 

New York était un territoire qui n’allait pas très bien lorsque McMahon commence à y présenter des spectacles en novembre 1956. Aussi surprenant que cela puisse paraître, le Madison Square Garden n’avait pas présenté de lutte depuis décembre 1955. 

Puis, le 1er août 1957, McMahon, avec Toots Mondt, ancien lutteur et promoteur, reconnu pour avoir inventé le style de lutte qu’on connaît aujourd’hui, le «Slam Bang Western Wrestling Style», et Johnny Doyle, un promoteur qui avait connu beaucoup de succès à Los Angeles, fondent Capitol Wrestling Corporation (CWC). Le mot «Capitol» vient de Washington, alors que le Capitole des États-Unis est le bâtiment qui sert de siège au Congrès, le pouvoir législatif des États-Unis. D’ailleurs, McMahon avait renommé le Turner Arena le Capitol Arena en décembre 1955. 

McMahon et Mondt détiennent 42% de la compagnie, alors que Doyle en possède 16%. L’année suivante, Doyle quitte pour aller travailler à Boston. McMahon et Mondt rachètent les parts de Doyle et deviennent partenaires à parts égales. 

La CWC faisait partie de la National Wrestling Alliance (NWA), une alliance de promoteurs à travers l’Amérique du Nord, mais cette association se termine en 1963. Mécontent de l’entente avec la NWA et de ne pouvoir compter sur le champion, Buddy Rogers, aussi souvent qu’il le voudrait, McMahon décide de quitter l’alliance. 

Après que Rogers ait perdu le titre de la NWA face à Lou Thesz à Toronto, McMahon et son groupe continuent de reconnaître Rogers comme champion du monde. Au printemps 1963, ils inventent un scénario comme quoi Rogers a remporté un tournoi international à Rio de Janeiro, au Brésil, pour ainsi devenir le premier champion de la toute nouvelle organisation, la World Wide Wrestling Federation (WWWF), une autre appellation pour Capitol Wrestling. Évidemment, le tout se déroule bien avant l’Internet, qui n’aurait pas permis qu’une telle chose survienne.  

Et même si la WWWF reviendra dans la NWA en 1971, elle demeurera une entité à part entière. Bientôt, elle présentera des spectacles du Maine jusqu’en Virginie, contrôlant toute la côte est américaine. 

Puis, en 1969, Mondt vend ses parts dans la compagnie au promoteur Phil Zacko et au lutteur Gorilla Monsoon. En 1977, Zacko et Monsoon vendront chacun 20% de leurs parts (10% de la compagnie au total) au lutteur et gérant Arnold Skaaland. C’est lui qui s’occupait du Géant Ferré sur la route. Avec ses 50% de la compagnie, McMahon devient et restera l’actionnaire majoritaire. 

L’idée de génie de Vince McMahon Jr.

Au printemps 1979, pour des raisons de marketing, la WWWF change de nom pour WWF, enlevant le «Wide» et gardant simplement World Wrestling Federation. 

En 1980, Vincent Kennedy McMahon, le fils de Vincent James, et son épouse Linda, fondent Titan Sports, et deux ans plus tard, Titan achète Capitol Wrestling Corporation pour la somme d’un million de dollars (environ trois millions en 2023). Les McMahon ont un an pour payer les quatre actionnaires, sinon, les parts retournent aux actionnaires, mais l’argent déjà déboursé serait tout de même gardé. En juin 1983, la transaction est complétée et l’ère de Vince Jr. allait débuter. 

Ce dernier avait une idée en tête : démolir les territoires et rendre son produit accessible à tous, le tout en mettant l’accent sur le divertissement. Il quitte la NWA en août 1983 et en janvier 1984, Hulk Hogan devient son champion et sa plus belle carte de visite. 

Quelques WrestleMania plus tard, après une dure guerre face à la WCW de Ted Turner, la WWF devient une compagnie publique en octobre 1999. Par conséquent, Titan Sports change de nom pour World Wrestling Federation Entertainment. 

Mais en mai 2002, à la suite d’une défaite en cour conte le World Wildlife Fund (communément associé aux fameux pandas) sur la marque de commerce «WWF» (la compagnie basée en Suisse utilise l’acronyme depuis 1961), la WWF devient la WWE. Sa campagne «Get the F out» sera d’ailleurs un coup de génie.

En 2009, Linda McMahon, PDG de la compagnie depuis 1997, démissionne de son poste afin de se présenter comme sénatrice dans l’état du Connecticut. Dans les années qui suivent, elle vendra une partie de ses parts de la compagnie à sa fille Stephanie et à son gendre Paul «Triple H» Levesque. Avant la fusion, elle détenait encore 1% des actions de la compagnie. 

Finalement, en juin 2022, à la suite d’accusations de fraude et d’agressions sexuelles concernant Vince McMahon, ce dernier démissionne de son poste de président du conseil d’administration et de PDG de la WWE. Sa fille Stephanie le remplace comme président du C.A, et en compagnie du président Nick Khan, partage les tâches de PDG de la compagnie. 

Lorsque Vince revient dans ses fonctions en janvier 2023, Stephanie démissionne. Avant la fusion, elle détenait encore 2% des actions de la compagnie.

Qu’est-ce qu’on connaît à propos d’Endeavor?

Dans l’historique de la WWE, c’est donc la première fois depuis Joe Turner qu’un McMahon n’a pas le pouvoir, ou à tout le moins la moitié du pouvoir, sur la compagnie.

Ce droit appartient maintenant à Endeavor Group Holdings. 

Leader dans la représentation d’artistes et d’athlètes, Endeavor vient elle-même d’une fusion, celle entre Williams Morris Agency (WMA) et Endeavor Talent Agency (ETA). Quand on regarde l’histoire de ces deux compagnies, qui remonte à 1898, on s’aperçoit qu’elles ont représenté des personnalités telles que Charlie Chaplin, Elvis Presley et Marylin Monroe, mais aussi des plus récentes comme Alicia Keys, les Backstreet Boys, Grimes, Lady Gaga, NAS, Peter Gabriel, Sean Paul, les sœurs Williams, Novak Djokovic et Meghan Markle. 

Une équipe de direction influencée par Endeavor

Son PDG, Ari Emanuel, a travaillé avec les plus grandes vedettes : Oprah Winfrey, Mark Wahlberg et même Dwayne «The Rock» Johnson. 

Emanuel est aussi le PDG de TKO. Le chef de l’exploitation est Mark Shapiro, qui continuera à occuper les mêmes fonctions chez Endeavor. Le directeur financier est Andrew Schleimer, alors que le chef des affaires juridiques est Seth Krauss, qui continuera lui aussi dans le même rôle avec Endeavor. 

Quatre cadres. Quatre en provenance d’Endeavor. Ça donne déjà le ton.

Le coloré Dana White a reçu une promotion et passe de président à PDG de l’entité UFC. Du côté de la WWE, même si Nick Khan demeure président de l’entité, il est très clair que Vince McMahon, comme président exécutif du conseil d’administration, détient le plus haut palier de direction en ce qui a trait à la WWE. 

D’ailleurs, Emanuel, Shapiro, McMahon et Khan font partie des 11 personnes sur le C.A. de TKO. Conseil d’administration également contrôlé par Endeavor, alors que six des 11 sièges lui sont prévus. 

De cette union naît une compagnie évaluée à 21,4 milliards de dollars américains. Si on se fie aux états financiers de 2022, les revenus combinés de la WWE et de l’UFC s’élèvent à 2,43 milliards, pour des profits de 351,8 millions. 

L’action du groupe a débuté à 102$ mardi dernier, soit 2,5% de plus que l’ancienne action de la WWE. On est loin des 17$ que valait l’action en 1999! 

Ce que je trouve le plus impressionnant de cette fusion est la banque d’archives que détient maintenant TKO.

Pensez-y un instant. 

Cette compagnie possède, entre autres, les archives de la WWE, WCW, ECW, Mid-Atlantic, AWA, UFC, Pride, WEC et Strikeforce. 

C’est assez pour faire vivre un service de diffusion en continu pendant des siècles!

D’ailleurs, on prévoit peut-être faire l’acquisition de nouvelles compagnies. Au niveau des arts martiaux mixtes, les deux plus grandes compétions de l’UFC sont Bellator et la PFL et il serait surprenant qu’elles soient achetées. Par contre, de plus petites promotions comme ONE ou Invicta pourraient être des achats intéressants. 

Du côté de la lutte professionnelle, oublions AEW (et ROH) et New Japan. D’ailleurs, la WWE n’avait pas sauté sur l’occasion d’acheter ROH il y a quelque temps. Est-ce que sous la direction d’Emanuel, la décision aurait été autre? Il serait aussi surprenant qu’Impact soit acheté. Alors il faudrait regarder la valeur d’une compagnie comme MLW ou même PWG. 

Mais cela n’est qu’un exemple des répercussions de la fusion entre UFC et WWE. 

À travers les différentes entrevues données par des cadres de la compagnie, plusieurs choses sont à prévoir et bien sûr, plusieurs questions en découlent.

Est-ce que l’amateur de lutte ou d’arts martiaux mixtes va voir une différence dans le produit?

Pas vraiment. La fusion ne viendra pas affecter les scénarios de la WWE ou les matchs de championnats de l’UFC. Ce qu’on risque de voir, c’est davantage de personnalités de la WWE sur le parterre d’un gros événement de l’UFC et, à l’inverse, des combattants et combattantes à un spectacle important de la WWE. 

Cela pourrait aussi permettre à certains combattants de prolonger leur vie à l’intérieur de la compagnie en terminant leur carrière dans le monde de la lutte. 

Dans le même ordre d’idée, il devrait être plus facile pour un combattant ou une lutteuse de percer à Hollywood. Emanuel y connaît tout le monde. 

Est-ce qu’il y aura des changements dans la production?

C’est là que l’amateur risque de voir, du moins à court terme, les plus gros changements. Des rencontres ont déjà eu lieu entre les vice-présidents à la direction des deux entités, Craig Borsari de l’UFC et Kevin Dunn de la WWE, afin d’améliorer le produit télévisuel présenté par TKO. Je pense qu’à ce niveau c’est l’UFC qui pourrait en bénéficier, mais il y a du bon à partager ses connaissances et ses expériences d’un côté comme de l’autre. 

Un autre changement qui sera à surveiller est au niveau des commanditaires.

Jusqu’à présent, Vince McMahon refuse d’avoir des logos de commanditaires imprimés sur le tapis de son arène. À une époque où les sports américains commencent à s’ouvrir de plus en plus à de la publicité sur les uniformes des athlètes, l’UFC a emboîté le pas à ce niveau depuis très longtemps. 

La WCW l’a déjà fait. Le compétiteur de la WWE, AEW, l’a fait tout récemment avec Draft Kings. La WWE présente déjà certains matchs jumelés à un commanditaire. La marche n’est pas si haute afin de passer à la prochaine étape. 

Est-ce qu’il y aura des congédiements de part et d’autre?

Oui. C’est déjà commencé d’ailleurs.

Frank Ridick, qui était le directeur financier de la WWE, a été congédié. Andrew Schleimer est celui qui a obtenu le poste pour TKO. Nul besoin d’avoir deux personnes qui font le même travail. 

Plusieurs postes seront consolidés, une pratique normale lorsqu’il y a de telles fusions dans le monde des affaires. Endeavor est habituée à ce genre de situations. Elle l’a vécu lorsque WMA et ETA ont fusionné en 2009, puis en 2016 lorsqu’ils ont fait l’acquisition de Zuffa, anciens propriétaires de l’UFC. La compagnie prévoit sauver entre 50 et 100 millions de cette façon. 

Il ne faut cependant pas s’attendre à des congédiements au niveau des alignements respectifs de la WWE et de l’UFC, outre le mouvement normal de personnel. Les deux compagnies sont très profitables, mais il y a tout de même une limite de personnes à avoir sous contrat.

Est-ce qu’on pourrait voir des événements communs?

Pas impossible. On prévoit déjà de publiciser certaines journées, par exemple lorsqu’un UFC est présenté en après-midi sur la côte est américaine à cause du décalage horaire et que la WWE y présente un PLE en soirée. 

On a aussi émis la possibilité de sortir un horaire d’événements commun au début d’une année ou à un moment précis dans l’année afin de créer un genre de buzz autour de la compagnie. 

Produire un UFC et un spectacle de la WWE dans le même aréna, un après l’autre, n’est peut-être pas à la veille d’arriver, mais viendra sûrement un jour. Si j’étais eux, je l’essayerais au moins une fois. 

Qu’en est-il de la relation entre la compagnie et l’Arabie saoudite?

En ce qui me concerne, c’est la question la plus intéressante.

À la suite de l’assassinat du journaliste du Washington Post Jamal Khashoggi en octobre 2018 par des agents du gouvernement saoudien, Emanuel a juré ne plus jamais faire affaire avec l’Arabie saoudite et en mars 2019, a retourné les 400 millions de dollars que le gouvernement saoudien avait investis dans la compagnie. 

L’UFC n’a d’ailleurs jamais produit un événement en terre saoudienne. 

Nick Khan a déjà affirmé que malgré la fusion avec l’UFC, la WWE complèterait son entente avec l’Arabie saoudite. Celle-ci signée en 2018 prévoit deux événements par année, pour un total de 20 d’ici 2028. En retour, la WWE reçoit environ 50 millions par spectacle. Jusqu’à présent, la WWE en a présenté neuf. 

Il est vrai que la situation est différente que ce qu'elle était en 2018 et 2019. De plus en plus de sports sont présentés en Arabie saoudite, de plus en plus d’athlètes y performent pour des montants faramineux. On n’a qu’à penser à LIV Golf, à la PFL ou bien encore aux joueurs de soccer Cristiano Ronaldo et Neymar. 

Mais cela demeure quand même une situation à surveiller maintenant que la compagnie appartient à Emanuel. 

L’histoire dictera le prochain chapitre

Plusieurs de ces questions seront répondues au fil des mois et des années.

 Toutefois, sans l’ombre d’un doute, ce changement de garde est probablement la nouvelle de la décennie, si ce n’est pas des 20 dernières années, dans le monde de la lutte professionnelle.

De Vincent James, à Vincent Kennedy, en passant par Linda et Stephanie, la famille McMahon, qui peut se venter d’être la plus influente famille dans l’histoire de la lutte professionnelle, vient de perdre un peu, beaucoup, de cette influence. 

Au bout du compte, je crois qu’il s’agit d’une très bonne nouvelle pour toutes les parties impliquées. L’histoire nous dira si ça s’avère être le cas.